Yves KleinYves Klein
Yves Klein est un artiste français, né le à Nice et mort le à Paris. En 1954, il se tourne définitivement vers l'art et entame son « Aventure monochrome ». Yves Klein est notamment connu pour sour bleu outremer, qu’il nommera « IKB » (International Klein Blue). De ses monochromes, au vide, à la « technique des pinceaux vivants » ou « Anthropométrie », jusqu'à l'emploi des éléments de la nature afin de manifester leur force créatrice ou de l’or qu’il utilise comme un passage vers l’absolu, il a conçu une œuvre qui traverse les frontières de l'art conceptuel, corporel et du happening. En 1962, quelques semaines avant sa mort, Yves Klein réalise FC1 (Feu Coloré n°1), une œuvre qui possède tous les éléments emblématiques de cet artiste: l'anthropométrie, la peinture de feu, le fameux monochrome bleu (IKB, International Klein Blue, breveté en 1960) et le pigment rose. BiographieEnfanceYves Klein est né à Nice, le 28 avril 1928, dans l'appartement de ses grands-parents maternels au 15 rue Verdi[1]. Ses parents, Fred Klein (1898-1990) et Marie Raymond (1908-1988)[2], sont des artistes peintres[2] qui, nomadisant entre les expositions, l'appartement de Montparnasse et la maison de la Goulette du Haut-de-Cagnes, ne voient leur fils que durant les fins de semaine, le confiant durant la semaine à Rose Raymond-Gasperini, la sœur de Marie Raymond[3]. En 1932, Marie Raymond autorise Rose Raymond-Gasperini à scolariser Yves dans une petite école religieuse près de la rue Verdi. En 1937, mécontente de ses résultats scolaires, Rose Raymond-Gasperini le transfère à l'école Masséna[4]. Il y reste un an : au cours de l'été 1938, ses parents emménagent à Paris au 116 de la rue d'Assas et l'inscrivent à l'école alsacienne. Mais ce nouveau cadre a un effet désastreux sur sa scolarité : il ne travaille plus, ses notes dégringolent, il change d'établissement en cours d'année avant d'en être renvoyé. Seule la déclaration de guerre de la France à l'Allemagne, le 3 septembre 1939, le sauve, en quelque sorte : ses parents, ayant décidé de rester à la Goulette après y avoir passé tout l'été, le confient à nouveau à sa tante Rose Raymond-Gasperini qui le ré-inscrit à l'école Masséna : ses notes s'améliorent en quelques semaines[4]. Entre 1940 et 1943, ses parents côtoient les nombreux artistes qui ont trouvé refuge sur la Côte d'Azur et se lient d'amitié à Nicolas de Staël et Jeannine Guillou, dont le fils, Antek, devient bon ami d'Yves[5]. S'inspirant des huit premiers albums de Tintin qu'il connait presque par cœur[6], il monte à douze ans un petit théâtre d'enfants, qu'il baptise le théâtre des Gnomes et qui se produit dans la cave de la Goulette[7]. À quinze ans, poussé par la puberté et déboussolé par la vente de la Goulette, il se rebelle, fait plusieurs fugues, mais aussi s'essaie tout seul au piano et dévore Mandrake le magicien « qui transforme toute réalité, se joue des certitudes et réinvente le monde »[8]. À l'automne 1943, ses parents retournent à Paris, au 116, rue d'Assas, désargentés. En 1944, il choisit, sans grande conviction, d'intégrer l’École nationale de la marine marchande mais est sévèrement recalé en juin 1945 au concours. En juillet 1946, il suit ses parents en Angleterre ; son père, aidé par l'encadreur Robert Savage, expose au centre d'art franco-anglais (en) à Saint John Woods, « Londres ». L'exposition terminée, ses parents repartent en France mais lui décide de rester pour apprendre l'anglais : pendant trois mois, il est homme au pair dans une famille à Sevenoaks, s'occupant d'un enfant handicapé. Au début de 1947, il séjourne à Amsterdam chez des amis de ses parents. Années judoLes années 1947 et 1948 sont deux années charnières pour Yves Klein à trois titres : il y découvre le judo, se fait deux nouveaux amis, Armand Fernandez et Claude Pascal, et se plonge avec ce dernier dans la mystique rosicrucienne. Ce triptyque Judo / Yves + Armand + Claude / Rose-Croix donnera naissance au « partage du monde » de l'été 1948.
Yves, Armand et Claude décident de fonder un groupe, le « Triangle ». Réunis par un grand attrait pour l'exercice physique, tous les trois aspirent à « l'Aventure » du voyage, de la création, de la spiritualité. Sur la plage de Nice, les trois amis choisissent de «se partager le monde» avec les trois catégories de l'Univers d'Heindel : à Armand revient l'animal et la terre, à Claude le végétal et les mots, à Yves le minéral et le ciel[2],[15],[16],[17],. Yves en tirera sa signature : « Je signe mon nom au dos du ciel, je passe de l'autre côté du ciel »[18]. Il s'en souviendra avec émotion en 1961 en concluant son Manifeste de l'hôtel Chelsea[19] sur ces mots : « Alors que j’étais encore un adolescent, en 1946, j’allai signer mon nom de l’autre côté du ciel durant un fantastique voyage « réalistico-imaginaire ». Ce jour-là, alors que j’étais étendu sur la plage de Nice, je me mis à éprouver de la haine pour les oiseaux qui volaient de-ci, de-là, dans mon beau ciel bleu sans nuage, parce qu’ils essayaient de faire des trous dans la plus belle et la plus grande de mes œuvres. Il faut détruire les oiseaux jusqu’au dernier. »[20]. Attiré par le voyage, il effectue entre 1948 et 1954 plusieurs séjours à l'étranger. Le premier, entamé le 3 août en autostop au départ de Nice[21], lui fait découvrir l'Italie du nord au sud : Gênes, Pise, Florence, Rome, Naples, Pompéi, Reggio de Calabre, Messine, Palerme, Capri pour finir par Venise[22] [note 1]. Après onze mois d'incorporation en Allemagne, Yves Klein poursuit un rêve : « aller à cheval jusqu'au Japon, la patrie du judo »[23]. Pour ce faire, il pense qu'il doit d'abord apprendre l'anglais et à monter à cheval. Claude Pascal souhaite l'accompagner dans son voyage au Japon. La poursuite du premier objectif commence le avec leur embarquement pour l'Angleterre. Les deux amis louent une petite chambre au 69, Cromwell Road, dans le quartier londonien de South Kensington, à proximité de l'atelier d'encadrement de Robert Savage, au 65, Old Brompton Road, celui-là même qui avait aidé Fred Klein à monter son exposition de l'été 1946[24]. Pendant quatre mois, Yves travaille chez Savage comme apprenti clandestin, s'initie sur le tas à la dorure à la feuille et aux techniques de la peinture (l'emploi des fixatifs, des vernis, le mélange des couleurs, l'usage des pigments en poudre). C'est à cette époque qu'il aurait produit ses premiers monochromes, « des carrés de cartons peints d'un seul ton chacun: un bleu (le ciel), un orange (la mer), un vert (la nature) »[25] qu'il aurait exposé en privé, dans leur chambre de Cromwell Road[24]. C'est aussi sans doute à Londres et à cette époque qu'il aurait imaginé la Symphonie Monoton-Silence. Le , Yves et Claude quittent Londres pour l'Irlande [note 2] à la poursuite de leur second objectif : apprendre à monter à cheval. Ce séjour de cinq mois, malgré une pluie incessante et des conditions précaires, restera un des moments les plus heureux de leur vie[26]. Ils retrouvent la Côte d'Azur fin août 1950. Mais Claude atteint de tuberculose doit renoncer au Japon. Le , Yves Klein part étudier l'espagnol à Madrid où il s'inscrit dans un club de judo. Il remplace un moniteur et remplit dès lors cette fonction régulièrement en devenant très proche du directeur de l'école Fernando Franco de Sarabia, dont le père est éditeur. Après seulement cinq années de pratique du judo, Yves Klein, qui rêvait d’en faire son métier[27], décide d’aller se perfectionner au Japon. En novembre, il entreprend les démarches, prend deux heures de cours de japonais par semaine et parvient à maitriser environ trois cents kanji[28]. Le , Klein embarque à Marseille sur le paquebot La Marseillaise et arrive à Yokohama le . À son arrivée, il est hébergé dans la banlieue de Tokyo chez Takachiyo Uemura, un critique d'art japonais, ami de sa mère[29]. Il partage ses jours entre la pratique du judo au Kodokan[30],[31],[32], l'enseignement et l'accès aux arts qu'il donne à l'Institut franco-japonais. Ainsi, il y organise l'exposition des œuvres de ses parents, Marie Raymond et Fred Klein, du 20 au , puis celle de Marie, seule, au Musée d’Art Moderne de Kamakura, et celle de Fred Klein, seul, en novembre au Musée d'art Bridgestone de Tokyo. C'est également en 1953 que se tient la première exposition du Groupe de Discussion d'Art Contemporain, dans l'atelier de Jiro Yoshihara du quartier de Shibuya à Tokyo, avec certains de ses étudiants dont Shōzō Shimamoto, qui constitue les prémices du mouvement Gutai. Dans son manifeste de l'art Gutai de , Yoshihara précise ainsi que les principes de ce mouvement, précurseur de la performance artistique, ont en réalité été initiés trois ans plus tôt[note 3]. Atsuko Tanaka, également membre du groupe Gutai, exposera des draps monochromes en 1955. Au début des années 1960, il fera connaître les artistes de Gutai à ses amis du Groupe ZERO qui exposeront avec eux en Europe. Après quinze mois d'abnégation, maître Shigenori Tashiro lui accorde, le 18 décembre 1953[33], le 4e dan[note 4]. Le , il quitte le Japon, débarque à Marseille le et monte à Paris le 7 avec l'intention d'y ouvrir sa propre salle de judo. Le judo aurait pu être sa voie car il y consacre une grande partie de son temps. Mais la Fédération française de judo lui réserve un accueil glacial et ne reconnaît pas son 4e dan obtenu à l'étranger[34], ce qui lui interdit d'enseigner officiellement. Dépité, il passe la frontière, accompagné de Claude Pascal, pour prendre le poste de conseiller technique de la Fédération espagnole de judo et enseigner au Bushido Kwaï de son ami Fernando Franco de Sarabia. Le , il publie Les fondements du judo[35], un ouvrage écrit avec maître Igor Correa Luna qui présente les 6 katas du judo[36],[17]. De retour à Paris en novembre 1954, il y poursuit sa passion du judo, d'une part en l'enseignant, entre février 1955 et 1959, à l'American Students' and Artists' Center au 261, boulevard Raspail, d'autre part en ouvrant sa propre école de judo, fin , au 104, boulevard de Clichy, dans un atelier où Fernand Léger avait dirigé une école de peinture[37] - il la décore de monochromes mais doit la fermer à l'été 1956 en raison de difficultés financières[17]. Ainsi se clôt le chapitre judo de sa vie. Peintures monochromesLa première présentation publique des œuvres de Klein est la publication du livre d'artiste « Yves Peintures » paru le , suivi de Haguenault Peintures[38], une copie du précédent. Ces deux recueils ont été édités par l’atelier de gravure de Fernando Franco de Sarabia, à Jaén[39]. Parodiant un catalogue traditionnel, le livre présente une série d'intenses monochromes en relation avec diverses villes où il avait vécu pendant les années précédentes. La préface de Yves Peintures est composée de lignes noires à la place du texte. Les dix planches en couleurs sont constituées de rectangles unicolores découpés dans du papier, datés et accompagnés de dimensions en millimètres. Chaque planche indique un lieu différent de création : Madrid, Nice, Tokyo, Londres, Paris. En , Yves Klein et Claude Pascal quittent l'Espagne. Yves retourne à Paris et s'y installe définitivement. En février 1955, il fait la connaissance de Robert Godet, comme lui judoka et passionné de philosophie orientale. Godet est un habitué du Select. Il présente Yves à son cercle de connaissances : Jean Tinguely, Jacques Villeglé, Georges Véron, Jean Michalon, Édouard Adam, Rodolphe Pichon. Ce dernier tient un atelier au 5, rue Campagne-Première et invite Yves à venir y travailler la peinture. L'atelier accueille aussi Bernard Quentin, Sam Szafran et César. Au printemps, Klein apprend que le Salon des Réalités Nouvelles prépare une exposition au musée d'art moderne de la Ville de Paris. En mai, il propose son monochrome Expression de l'univers de la couleur mine orange (M 60). Le premier juillet, le jury refuse de l'exposer en l'état. Pour que le tableau soit déclaré « abstrait » il lui demande « au moins d'ajouter une petite ligne, ou un point, ou même simplement une tache d'une autre couleur [...] mais une seule couleur, non, non [...] c'est impossible[note 5]. » Mais Klein reste inébranlable dans son idée que la couleur pure représente « quelque chose » en elle-même[17] [40]. Sa première exposition de tableaux monochromes a lieu au club des Solitaires, le , et passe pratiquement inaperçue. Il y expose des monochromes de différentes couleurs (orange, vert, rouge, jaune, bleu, rose), sous le titre « Yves, peintures ». Afin d'éviter toute touche personnelle, les œuvres sont réalisées au rouleau : « Déjà autrefois, j’avais refusé le pinceau, trop psychologique, pour peindre avec le rouleau, plus anonyme, et ainsi tâcher de créer une distance, tout au moins intellectuelle, constante, entre la toile et moi, pendant l’exécution[41]. » En 1955 également, Claude Bellegarde expose sa série de monochromes « période blanche » à la galerie Studio Fachetti à Paris[42]. Pierre Restany s'intéresse aux tableaux monochromes et fonde le groupe « Espaces imaginaires » avec Gianni Bertini, Hundertwasser, Bruning, Halpern et le sculpteur Delahaye. Il présentera ensuite Bellegarde à Yves Klein, alors que ce dernier avait déjà commencé à réaliser puis peindre ses propres monochromes. Début 1956, Klein fait en effet la connaissance de Pierre Restany, lors de sa seconde exposition intitulée « Yves : propositions monochromes », qui a lieu du au dans la galerie parisienne de Colette Allendy. Avec ce critique d’art, il noue un contact intense, une compréhension tacite, et cette relation deviendra une expérience de « communication directe » qui va marquer un tournant décisif dans la compréhension de son art. Dans sa préface, Pierre Restany expliquait aux visiteurs l’arrière-plan théorique du nouveau concept. Le problème du travail sur une couleur unique entre dans la conscience culturelle parisienne. Klein devient célèbre sous le nom d'« Yves le Monochrome »[17]. Bleu de KleinEn automne 1956, il crée l'IKB, International Klein Blue, qui est, pour lui, « la plus parfaite expression du bleu » (voir plus bas) et le symbole de la matérialisation de la sensibilité individuelle, entre étendue infinie et immédiate. Du 2 au , sa première exposition à l'étranger, Proposte monocrome, epoca blu, se tient à la Galerie Apollinaire à Milan, où 11 monochromes IKB de formats identiques (78 × 56 cm), mais de prix différents, sont accrochés à 20 cm du mur par des équerres pour produire un effet de saturation de l'espace. Klein y fait la connaissance de Lucio Fontana, qui acquiert un monochrome, et de Pierre Manzoni, qui se rend à l'exposition chaque jour et peindra, à partir de décembre, sa propre série de monochromes. Bien reçu par les artistes italiens, Klein signe en septembre le manifeste Contre le style[43] du Mouvement nucléaire (it) d'Enrico Baj, accepte de participer à leur exposition d'octobre et… son monochrome bleu aurait même été la source d'inspiration de la chanson de Domenico Modugno Nel blu dipinto di blu — plus connue sous le titre Volare —[44] [45]. Elle est suivie, en , par une double exposition à Paris, d'une part à la Galerie Iris Clert, « Yves, Propositions monochromes », du 10 au , d'autre part à la Galerie Colette Allendy, « Pigment pur », du 14 au [46]. Le , devant la galerie Iris Clert, il lâche mille et un ballons bleus gonflés à l'hélium, sa « première sculpture aérostatique ». Le , Klein présente sa première peinture de feu, Feux de Bengale - tableau de feu bleu d'une minute (M41), dans le jardin de la galerie Colette Allendy, et au premier étage, son premier Immatériel, une salle entièrement vide intitulée Espaces et volumes de la sensibilité picturale immatérielle[46] [47]. Le , la Galerie Alfred Schmela (de) de Düsseldorf ouvre ses portes avec l'exposition Yves, Propositions monochromes, avant de devenir le principal lieu d'exposition du Groupe ZERO formé par Heinz Mack, Otto Piene et Günther Uecker. Il y apprend que la ville de Gelsenkirchen lance un concours pour la décoration de son nouvel opéra et décide de postuler après avoir rencontré Werner Ruhnau, l'architecte du projet[48]. Du au , l'exposition Monochrome Propositions of Yves Klein est présentée à la Gallery One de Londres. Le , un débat organisé à l'Institut of Contemporary Arts par Pierre Restany, en présence d'Iris Clert et du ghota de la presse britannique invitée par Victor Musgrave, le directeur de la galerie, provoque une polémique et une publicité sans précédent pour Klein. « Mes tableaux sont maintenant invisibles », déclara-t-il alors. Un journaliste du Guardian juge l'exposition « très drôle » alors qu'à l'opposé The Sun se demande si cette exposition « n'est pas l'une des plus grosses supercheries du siècle[49]. » Son activité croissante l'amène a quitter son petit atelier du 9, rue Campagne-Première pour emménager dans un entrepôt de la rue Lecourbe. Début juillet 1957, il rentre sur la Côte d'Azur et fait la connaissance au domicile d'Arman, à Nice, de Rotraut Uecker, leur fille au pair et la sœur cadette de Günther Uecker, qu'il avait rencontré six mois plus tôt à Düsseldorf. Il est sous le charme, tombe amoureux, dort et travaille chez les Arman pour être près d'elle. À la fin de l'été, ils doivent néanmoins se quitter[50]. Du côté des arts, son année 1957 se poursuit à Milan, où il est invité à participer à l'exposition collective Arte Nucleare 1957, organisée par le groupe du Mouvement nucléaire, et se termine à Gelsenkirchen, pour y exposer sa technique des reliefs-éponges puis participer à l'exposition des maquettes du futur opéra. Le 15 janvier 1958, Werner Ruhnau lui confirme que son projet a été retenu et qu'il rejoint une équipe internationale d'artistes (Norbert Kricke (de), Paul Dierkes (de), Robert Adams, Jean Tinguely) qui doit livrer l'opéra Musiktheater im Revier (de) en décembre 1959[51]. Au début de 1958, il déménage son atelier de la rue Lecourbe au 14, rue Campagne-Première. En avril, il visite l'Italie, s'arrête à la basilique Saint-François d'Assise, où les ciels bleus, étoilés et intenses de Giotto l'impressionnent vivement, puis à la basilique Sainte-Rita de Cascia, à laquelle sa tante Rose et lui-même vouent un respect particulier[52]. L'exposition du videPour son trentième anniversaire, le 28 avril 1958, Yves Klein envoie trois mille cartons d'invitation, affranchis de faux timbres-poste bleus, au vernissage de son exposition à la galerie d'Iris Clert, 3 rue des Beaux-Arts, à Paris. Intitulée La spécialisation de la sensibilité à l'état matière première en sensibilité picturale stabilisée, elle restera plus connue sous son nom abrégé : L'Exposition du Vide. L'artiste propose au millier de couples[note 6] qui s'engouffrent d'abord sous l'immense dais bleu-outremer surmontant l'entrée de l'immeuble puis franchissent la tenture bleue masquant la porte d'entrée de la galerie, de contempler une pièce entièrement peinte en blanc, dépourvue de tout tableau, sculpture, clou ou cimaise : le vide absolu. Le bruit se répand rapidement dans Paris et près de trois mille curieux veulent voir l'exposition : trois cars de policiers, rejoints par des pompiers, sont nécessaires pour contenir la foule. Le lendemain, Iris Clert est convoquée d'urgence à la caserne de la garde républicaine. La presse ne reste pas indifférente : on peut ainsi lire dans le Monde : « Delacroix dans son journal fait grand cas de la notion d'indéfinissable. Moi j'en fais mon matériau essentiel : le tableau à force d'être indéfinissable se fait ABSENCE ». Albert Camus dédicace le livre d'or de ces mots : « Avec le vide, les pleins pouvoirs ! »[53]. Le succès étonnant de cette exposition avant-gardiste se prolonge jusqu'au 12 mai[54]. Cette exposition, qui ne portait aucun titre, ne présentait aucun tableau, aucune sculpture ou objet interroge sur la nature du « Vide », car Klein précisa l'année suivante que les lieux étaient vides, certes, mais « en apparence seulement »[55]. Le , il organise dans l'appartement de l'île saint-Louis de Robert J. Godet sa première expérience en public de « pinceaux vivants ». Devant une quarantaine d'invités, Marlène, une jeune modèle entièrement enduite de bleu, se roule sur du papier blanc et y dépose un bleu monochrome issue de ses empreintes corporelles. À l'automne, il se rend pour la seconde fois à la basilique Sainte-Rita de Cascia et fait don d'un monochrome bleu pour remercier la sainte d'avoir obtenu pour lui la commande de l'opéra de Gelsenkirchen. D'octobre 1958 à décembre 1959, il y travaille sans relâche « à réaliser, dans [s]es tableaux de vingt mètres sur sept, des miniatures[56] », ses premiers Reliefs-Éponges du foyer de l'opéra[57] et à élaborer, avec Werner Runhau, le concept d'une « architecture de l'air[58] ». Il y œuvre avec son ami Jean Tinguely responsable des deux grands reliefs du foyer. Les deux artistes, qui s'étaient liés d'amitié lors de l'Exposition du Vide, font le vernissage de Vitesse pure et stabilité monochrome, une exposition de 15 jours à la galerie parisienne d'Iris Clert, où ils présentent leurs œuvres communes : des disques bleus monochromes tournant à grande vitesse[59]. Le , il participe, dans son appartement du 14 rue Campagne-Première à Paris, à la création du Nouveau Réalisme, en signant la « Déclaration constitutive du Nouveau Réalisme » avec Pierre Restany qui l'a rédigée, Arman, Raymond Hains, Martial Raysse, Daniel Spoerri, Jean Tinguely, Jacques Villeglé et François Dufrêne suivi par Niki de Saint Phalle, Gérard Deschamps et Christo. New yorkEn , il se rend pour la première fois à New York, où ses monochromes IKB, qui avaient déjà figuré à l'exposition New Forms – New Media tenue à la Martha Jackson Gallery, du 6 au et du au , sont présentés du 11 au lors de l'exposition Yves Klein le Monochrome à la Galerie Leo Castelli. Yves Klein épouse le une jeune artiste allemande, Rotraut Uecker, sœur de l'un des membres fondateurs du Groupe ZERO, dont il se rapproche dès 1958. La cérémonie de mariage, orchestrée par l'artiste en l’église de Saint-Nicolas-des-Champs à Paris, est suivie d'une haie d’honneur formée à la sortie de l'église par des chevaliers de l’ordre des Archers de Saint-Sébastien puis d’une réception à La Coupole, où l’on sert un cocktail bleu aux invités, la réception se terminant dans l'atelier de Larry Rivers. DécèsKlein meurt d’une crise cardiaque le , deux mois avant la naissance de son fils le [17],[60]. Il avait été victime de deux malaises cardiaques en mai. Un premier, le , après la projection du film Cette chienne de vie (Mondo cane) de Paolo Cavara et Gualtiero Jacopetti au festival de Cannes : Klein y était qualifié de « peintre tchécoslovaque » et l'une de ses performances publiques d'« anthropométrie de l'époque bleue », réalisée pour ce film les 17 et , insérée dans une succession de séquences étonnantes[note 7], y était ridiculisée et dénaturée. De retour à Paris, il fut victime d'un second malaise cardiaque, après le vernissage de son dernier Klein-d'œil, le Portrait relief de son ami Arman, à l'exposition Donner à voir, à la Galerie Raymond Creuze, rue Beaujon[61]. Il repose au cimetière de La Colle-sur-Loup dans les Alpes-Maritimes. ŒuvreMonochromieS'inspirant du ciel qu'il avait signé de son nom sur la plage de Nice en 1946, il veut peindre un espace-couleur infini : le « monde de la couleur pure »[16],[17]. Yves Klein peint des monochromes, car il privilégie l’expression de la sensibilité plutôt que la figuration dans la forme : « Pour peindre l’espace, je me dois de me rendre sur place, dans cet espace même. Sans trucs ni supercheries, ni non plus en avion ni en parachute ou en fusée : [le peintre de l’espace] doit y aller par lui-même, avec une force individuelle autonome, en un mot il doit être capable de léviter » et « Jamais par la ligne, on n’a pu créer dans la peinture une quatrième, cinquième ou une quelconque autre dimension ; seule la couleur peut tenter de réussir cet exploit ». International Klein BlueEn 1956, avec l'aide du marchand de couleurs parisien Édouard Adam et d'un chimiste de Rhône-Poulenc, il utilise un médium fixatif (au moyen d'une résine synthétique nommée Rhodopas) qui se rétracte en séchant, laissant ainsi apparaître le pigment pur[62],[63]. Le bleu outremer est ainsi perçu dans toute son identité originelle là où les liants traditionnels qui permettent de fixer les pigments sur le support altèrent toujours leur éclat. Dès 1957, il choisit de peindre en bleu car c’est la couleur la plus abstraite qui soit d’après lui : « Le bleu n'a pas de dimension, il est hors dimension, tandis que les autres couleurs elles en ont [...] Toutes les couleurs amènent des associations d’idées concrètes [...] tandis que le bleu rappelle tout au plus la mer et le ciel, ce qu'il y a de plus abstrait dans la nature tangible et visible. », faisant ainsi également référence au vide, car cela incite à l’imagination. En , Yves Klein célèbre l’avènement de « l’époque bleue » par la double exposition Propositions monochromes à Paris, annoncée par l'envoi de cartes postales bleues oblitérées de timbres IKB que Klein était parvenu à faire accepter par les services postaux, avec sa première peinture de feu composée d'un monochrome bleu sur lequel sont fixés 16 feux de Bengale à la galerie Colette Allendy et un lâcher de 1 001 ballons le soir du vernissage à la galerie Iris Clert. Ce geste, que Klein qualifiera par la suite de « sculpture aérostatique », sera reproduit 50 ans plus tard sur la place du Centre Beaubourg, à l’occasion de la clôture de l’exposition que le Musée national d'Art moderne lui consacrera en 2006-2007. Le , Yves Klein dépose à l'Institut national de la propriété industrielle (INPI), sous l’Enveloppe Soleau no 63 471, la formule de son invention qu'il baptise IKB, « International Klein Blue ». Elle décrit le liant qui est constitué d'une pâte fluide originale substituée à l'huile traditionnellement utilisée en peinture, et qui fixe du pigment bleu outremer. Sculptures Éponges et Reliefs ÉpongesYves Klein a commencé par se servir d’éponges naturelles dans son travail avant d’opter définitivement pour la peinture au rouleau à partir de 1956. Il dira en 1957 que l’extraordinaire faculté de l’éponge de s’imprégner de quoi que ce soit de fluide le séduira. Il s’aperçut de la beauté du bleu dans l’éponge et cet instrument de travail deviendra une matière première pour lui. Dès lors, il va travailler sur ces premiers Reliefs-Éponges, études réalisées pour le projet du foyer du Théâtre de Gelsenkirchen. De 1957 à 1959, Klein va être immensément encouragé dans l’expansion de ses activités par sa collaboration à la construction du théâtre de Gelsenkirchen. La musique, le théâtre et l’idée de l’œuvre d’art total seront pour lui des impulsions décisives avec le travail sur des Reliefs-Éponges dans des dimensions tout à fait inhabituelles pour l’époque. En , l’inauguration du théâtre marque le triomphe officiel de la « monochromie ». L’espace est entièrement empreint du bleu de Klein. Selon celui-ci, il est parvenu à faire de cet espace intérieur un lieu d'enchantement magique pour le public. Il créera plus tard des Reliefs-Éponges et des Sculptures Éponges, censés représenter les spectateurs de ses œuvres imprégnés par l'intensité du bleu IKB. Il déclare en 1958 : « Grâce aux éponges, matière sauvage vivante, j'allais pouvoir faire les portraits des lecteurs de mes monochromes qui, après avoir vu, après avoir voyagé dans le bleu de mes tableaux, en reviennent totalement imprégnés en sensibilité comme des éponges ». ImmatérielEn 1958, il repeint en blanc les murs de la galerie parisienne Iris Clert dans le cadre de « l'Exposition du vide » (La spécialisation de la sensibilité à l’état matière première en sensibilité picturale stabilisée, Le Vide). Les « Anthropométries », empreintes de corps de femmes nues et enduits de couleur bleue sur toiles blanches apparaîtront en 1960. De nombreuses « Anthropométries » ont été filmées comme de véritables événements, on peut en voir dans certains musées (Centre Pompidou entre autres)[63]. Vers une union de l'Avant-Garde internationaleÀ la suite de son exposition « Proposition monochrome, Époque bleue » à la galerie Apollinaire de Milan en , l'ancien peintre Alfred Schmela (de) prend le parti d’exposer Yves Klein dès pour l’inauguration de sa galerie à Düsseldorf, alors que le climat général est encore à l’expressionnisme abstrait et, plus particulièrement en Europe, à la tendance de l'art informel que l’on a appelé abstraction lyrique. Cette galerie va vite devenir le lieu principal de l’orchestration du Groupe ZERO fondé par Heinz Mack, Otto Piene et Günther Uecker, dont Klein épousera, 4 mois et demi avant son décès, la sœur Rotraut, le . Klein est parmi les premiers Français à exposer en Allemagne dans l’après-guerre, qui enfermait alors les deux pays dans une totale absence de communications et d’échanges sur le plan artistique. En fait, Heinz Mack était déjà venu rendre visite à Yves Klein dans son atelier parisien dès la fin de l’année 1955, au cours de laquelle il fit également connaissance de Jean Tinguely, qui sera plus tard lui aussi impliqué dans les démarches du Groupe ZERO. À la fin des années 1950, Klein se rendra fréquemment en Allemagne, notamment pour les travaux qu’il réalise pour l’Opéra de Gelsenkirchen. Progressivement, les liens se tissent avec le groupe de Düsseldorf, dont il se sent de plus en plus proche. Klein expose même pour la première fois en compagnie des artistes allemands en lors de leur septième « exposition d’un soir ». C’est le début d’une collaboration qui va s’internationaliser de plus en plus. La même année, Piero Manzoni, qui s’intéresse aussi de près aux travaux de Klein et de Lucio Fontana, dont il a pu prendre connaissance à Milan, voyage aux Pays-Bas où il prend contact avec les futurs artistes néerlandais du Groupe NUL, proches de ZERO, menés par Herman de Vries, Jan Schoonhoven, Armando, Jan Henderikse et Henk Peeters. Peu à peu, ce réseau international de l'Avant-Garde européenne s’organise jusqu’au printemps 1959, où Tinguely organise l’exposition « Motion in Vision - Vision in Motion » à Anvers. C’est véritablement l’exposition fédératrice du groupe, qui réunit, entre autres : Bury, Mack, Manzoni, Piene, Soto, Spoerri et Klein, lequel réalise une performance en déclarant que sa seule présence physique sur l'emplacement qui lui est attribué est l’œuvre correspondant à sa contribution. C’est ici qu’il prononcera ces mots désormais célèbres, empruntés à Gaston Bachelard : « D’abord il n’y a rien, ensuite il y a un rien profond, puis une profondeur bleue ». Le courant ZERO s’affirme. À partir de ce moment, beaucoup d’expositions collectives auront lieu et rassembleront les milieux artistiques des quatre villes principales : Amsterdam, Düsseldorf, Milan et Paris, notamment celle tenue au Stedelijk Museum d'Amsterdam en , auquel Klein en désaccord sur le titre « Monochromes » un temps retenu refusera de participer, puis à nouveau en 1965, où il sera en revanche représenté post-mortem, ainsi que Yayoi Kusama et les membres du groupe japonais Gutai, pionniers de la performance contemporaine, que Klein avait auparavant fait découvrir aux autres mouvements du réseau. À partir du début des années 1960, Lucio Fontana expose même en compagnie de cette jeune génération qui, fort de son œuvre de théoricien, voit en lui un père spirituel. Sa participation au mouvement ZERO est en quelque sorte la consécration du groupe, ou, du moins, un soutien majeur de la part de cette figure, qui à l’époque est déjà reconnue de l’art contemporain. Néanmoins, la mort similaire par crise cardiaque de Klein leader du Nouveau Réalisme, en et 8 mois plus tard de Manzoni, précurseur de l'Arte Povera théorisé en 1967, deux des trois principaux théoriciens de cette nouvelle avant-garde internationale avec Heinz Mack, entravera fortement cette collaboration européenne naissante ; tandis que le Groupe NUL hollandais sera dissout après la grande exposition de 1965 de l'ensemble de ces mouvements organisée au Stedelijk Museum. En 2015, le Stedelijk Museum a organisé une rétrospective pour célébrer les 50 ans de cette exposition historique, intitulée ZERO, Let Us Explore the Stars[note 8]. Son rapport au corpsOn ne peut comprendre la démarche d'Yves Klein sans l’arrière-plan d’autodiscipline, de communication intuitive et de maîtrise du corps que sous-entend le Judo. Klein entretient un rapport très particulier avec le corps dans son activité artistique. Ce rapport se situe à plusieurs niveaux : PrésenceTout d’abord la présence de corps nu (la grande majorité féminine) dans son atelier qui lui sont nécessaires pour sa création de ses monochromes avec sa couleur bleu IKB. Cette nudité, il l’utilise pour, dit-il, « stabiliser la matière picturale » (extrait de Dimanche). Il déclare souvent : « cette chair donc, présente dans l’atelier, m’a longtemps stabilisé pendant l’illumination provoquée par l’exécution des monochromes ». Il ne peint pas d’après modèle comme les artistes figuratifs mais en leur compagnie, qui selon lui, lui fait ressentir : « une atmosphère bon enfant », « un climat sensuel », ou « un climat affectif pur ». Cette sensation est explicitée dans une des citations de Klein où il la décrit : « Mes modèles riaient beaucoup de me voir exécuter d’après elles de splendides monochromes bleus bien unis ! Elles riaient, mais de plus en plus se sentaient attirées par le bleu ». ActionKlein comprend vite que leur simple présence dans son atelier est insuffisante. Même si elle imprégnait selon lui l’atmosphère qu’elles créaient dans les monochromes, cette imprégnation serait encore plus réussie si les modèles eux-mêmes peignaient le monochrome. S'ensuivent donc ces œuvres que l’on qualifie d’« anthropométries », où le corps cette fois dans la peinture joue ce même rôle de « stabilisation » de la matière picturale. Une première séance publique (en petit comité) s’organise chez Robert Godet le . Celle-ci reste toujours en continuité avec les monochromes mais en constitue le second temps de l’évolution du corps dans son art. Lors de cette séance, un seul modèle féminin agit tel un « pinceau vivant » sur la toile, le corps enduit de couleur. Le modèle rampe sur la feuille de papier à même le sol sous l’œil d’Yves Klein qui, lui, le dirige et l’invite à passer sur les endroits où la peinture n’est pas encore appliquée. Tous moindres gestes du modèle ont été répétés au préalable et Klein donne l’initiative soit à lui-même, soit au modèle suivant ses différents écrits. Klein désigne cet exercice comme une « collaboration ». Ce mot est très souvent présent et repris dans ces textes comme une obsession. Il déclare : « Je ne les ai jamais touchées, d’ailleurs c’est pour cela qu’elles avaient confiance et qu’elles aimaient collaborer, et aiment encore collaborer ainsi, de tout leur corps à ma peinture. » Il dit voir « apparaître à chaque séance les « marques du corps » qui disparaissaient d’ailleurs bien vite car il fallait que tout devienne monochrome ». Cette citation évoque sa seconde activité, le Judo, où il pouvait observer les marques du corps en sueur des judokas sur les tapis blancs poussiéreux, lors des grands combats, ou encore un type de dessin japonais fait à partir d’empreinte de poisson. Cette décision d’entreprendre les anthropométries est due aussi à un événement de son temps qui l’a marqué : les traces des personnes laissées sur les murs lors de l’explosion à Hiroshima, dont il réalisera par ailleurs une anthropométrie. Sur cette toile, on peut observer plusieurs traces de corps en mouvement Empreintes et collaboratricesDans ce rapport de mouvement, Klein déclare que, comparé aux figuratifs, il libérait les modèles nus féminins, car il les laissait agir sur son œuvre alors qu’eux créaient leurs œuvres à partir de leur corps immobile. Parmi elles, il y avait Elena Palumbo Mosca, qui collabora avec lui pour la réalisation d'une vingtaines d'œuvres entre 1960 et 1962[64],[65]. Notons toutefois qu'Yves Klein n'a jamais payé ces femmes qui l'ont pourtant aidé à réaliser des tableaux se vendant plusieurs millions de dollars[66]. Seulement les monochromes créés avec des pinceaux vivants ne laissaient pas perceptible la présence de la chair. C’est pourquoi Klein a progressivement mis au point la procédure des empreintes laissées par un modèle sur un support. Après plusieurs essais, estimant qu’il avait bien mis au point cette technique, il la présenta à Pierre Restany. Le , devant le critique accompagné d’un directeur de musée, un modèle dont le buste, le ventre et les cuisses ont été badigeonnés de peinture bleue, appose l’empreinte de son corps coloré sur des feuilles de papier placées au sol. C’est à cette séance que Restany trouve le terme « d’anthropométries de l’époque bleue ». Klein organise une soirée dans la galerie internationale d’art contemporain à Paris le , devant une centaine d’invités dont des artistes, des critiques, des amateurs d’art ou encore des collectionneurs[63]. Klein en habit de soirée donne un signal aux neuf musiciens présents à côté afin qu'ils commencent la Symphonie Monoton-Silence, composée par lui-même en 1949, une seule et même note continue de vingt minutes suivies de vingt minutes de silence[63],[67]. Pendant ce temps-là, trois femmes commencent à se badigeonner les seins, le ventre et les cuisses de couleur bleue. Elles réalisent ensuite diverses anthropométries dont la plus connue est intitulé « Anthropométrie de l'époque bleue » (ANT 100), 1960. Il fait des répétitions, organise la mise en scène, invite des photographes et cadreurs qu’il connaît, contrôle la diffusion des images. Néanmoins, même s’il pense tout faire pour faire passer clairement ses nouvelles techniques, des malentendus surgissent et il paraît pour certains masochiste ou obscène[68]. Il réalise aussi la série des « portraits-reliefs », moulages grandeur nature des autres membres du mouvement Nouveau Réalisme, peints notamment en bleu IKB et se détachant sur un panneau doré à la feuille, qu'il n'aura pas le temps d'achever, ou utilise des statuettes en plâtre de sculptures célèbres, comme celles de la Victoire de Samothrace et de la Vénus de Milo peintes en IKB. PochoirsPar la suite, il diversifie ses méthodes et différencie les anthropométries statiques des dynamiques. Lors de la création des « statiques » le corps de la femme est simplement posé tel un tampon sur le support et y laisse son empreinte. Ces empreintes statiques de femmes et parfois d’hommes, ont souvent été groupées de manière à former, sinon une composition, du moins un ensemble. Les anthropométries réalisées sur des tissus renvoient à un objet de culte qui est le suaire de Turin. Dans les images négatives, comme « Hiroshima », la peinture est projetée et le corps du modèle fait office de pochoir. L’anthropométrie dynamique consiste à faire ramper un modèle sur le support, laissant derrière lui une trace dynamique. Il a aussi convié plusieurs modèles à simuler une bataille où l’on ne distingue plus tellement les corps. Le processus lui-même est conçu comme un rituel. Il s’agit d’un rituel de passage de la toile blanche à la chair : « c’était la chair elle-même qui appliquait la couleur au support sous ma direction » puis de la chair à l’invisible. En réutilisant le bleu IKB, il reprend la couleur, réutilise l’espace conquis par l’immatérielle et évite la ressemblance au rose. Klein choisit aussi de ne pas représenter les mains pour les raisons suivantes : « Il ne fallait pas que les mains s’imprimassent, cela aurait donné un humanisme choquant aux compositions que je cherchais. » « Bien sûr, tout le corps est constitué de chair, mais la masse essentielle, c’est le tronc et les cuisses. C’est là où se trouve l’univers réel caché par l’univers de la perception. » (cette vision se rapproche de notions japonaises qui sont le Katas et le Hara). ÉlémentsKlein réalise au début de l’année 1961 la série des Peintures de feu, dans laquelle il cherche à imprimer les traces du feu sur divers supports. Déjà Alberto Burri avait utilisé en 1954-1955 la puissance de cet élément dans sa série des Combustioni constituée de couches de plastique brûlées. C’est au centre d’essais de Gaz de France de la Plaine-Saint-Denis, où on met à sa disposition un équipement industriel, qu’il apprend à maîtriser le feu et à effectuer des réglages précis pour en utiliser les différents degrés de puissance. Dans ces Peintures de feu, comme dans les Cosmogonies, empreintes de la pluie et du vent sur la toile, qu’il réalise à partir de 1960, l’artiste convoque les éléments de la nature afin de manifester leur force créatrice. Mais ici il allie l’élément naturel au corps, les Peintures de feu étant réalisées avec l’aide de modèles nus que Klein utilise tour à tour. Il humidifie le support autour du corps pour déterminer les parties qui resteront en réserve et complète les traces de feu avec des empreintes de peinture. Mêlant ainsi les deux techniques, Klein joue avec les pleins et les vides des formes tracées alternativement en négatif et en positif. Ainsi les empreintes des corps des femmes se révélaient sous l’action du feu. Les anthropométries servent alors de passage à double sens du visible à l’invisible, du matériel au spirituel et du charnel au divin. Elles le font en l’absence spectaculaire de l’artiste. Avec ses Cosmogonies, l'artiste soumet la toile aux intempéries, sur le toit de sa voiture, lors de ses déplacements. En collaboration avec les architectes Claude Parent et Werner Ruhnau, il imagine dans ses Architectures de l'air de vastes constructions au toit maintenu en lévitation par de l'air pulsé, destinées à maintenir un environnement tempéré et contrôlé, où l'homme, comme dans un Eden retrouvé, ne serait plus soumis aux aléas climatiques. Il peint également en IKB des reliefs planétaires en plâtre de la France ainsi que des globes, ravi d'apprendre que vue de l'espace la Terre devrait paraître de couleur bleue. Trois mois avant son décès, l’exposition « Antagonismes II : l’objet », présentée le au musée des Arts décoratifs, expose des maquettes de l’Architecture de l’air et du Rocket pneumatique réalisées avec l'aide du designer Roger Tallon. Dans un diorama une pluie simulée est détournée par une lame d’air ; tandis que le Rocket, sorte de petit engin spatial mu par pulsation d’air, est destiné à disparaître dans le vide de l'espace. Feu, air, eau, terre, les quatre éléments terrestres sont ainsi mis à contribution. Mais la mort prématurée de l'artiste interrompt ses recherches et expérimentations sur l'architecture de l'air et sur le thème de l'exploration de l'espace. CouleursLe bleu n’est pas l’unique couleur présente dans les anthropométries, celles-ci pouvant être différentes comme dans l’une de ces premières anthropométries, ANT121, datée vers 1960, qui est dorée sur fond noir. Les monochromes dorés nommés Monogold sont essentiellement composés de feuilles d’or, qui représentent l’accès à l’immatériel, l’absolu et l’éternité. Klein peint également des monochromes roses appelés Monopink. Il déclare, pour ses anthropométries créées en utilisant le feu, que « le feu est bleu, or et rose aussi. Ce sont les trois couleurs de base dans la peinture monochrome, et pour moi, c’est un principe d’explication universel, d’explication du monde ». Les trois couleurs de base bleu, or et rose de son travail s’articulent également mutuellement et parfaitement dans le feu. En effet, lorsqu’on regarde la couleur d’une flamme, on distingue bien ces trois couleurs. Il réalise ainsi différents triptyques utilisant ces trois couleurs primaires et les réunira également dans des sculptures comme Ci-git l'Espace (MNAM, Paris) constituée d'une dalle funéraire recouverte de feuilles d'or, d'une couronne en éponge IKB et de roses. Enfin, son œuvre Ex-voto, réalisée pour le sanctuaire de Rita à Cascia, sera la conclusion de son travail, réunissant toutes ses idées en une seule et même œuvre composée de ses trois couleurs rose, bleu et or. Performances
Yves Klein est, par son œuvre et sa posture, l'une des grandes figures de l'art contemporain français et international. Il a été en avance sur son siècle, et conscient de la radicalité de sa position. Il a ouvert l’art sur l’immatériel. Pour lui, l’or, le rose et le bleu sont une seule et même couleur et forment une « trilogie chromatique » au complet. Œuvres
Expositions majeuresDe son vivant
Après sa mortDe 1962 à 2000
Depuis 2000
BibliographieÉcrits
Monographies1970-1999
2000-2009
Depuis 2010
Catalogues d’expositions personnelles1960-1965
1966-1970
1971-1980
1981-1990
1991-2000
2001-2010
Depuis 2011
Filmographie sélective
Hommages
Iconographie
Notes et référencesNotes
Références
Voir aussiArticles connexes
Liens externes
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