Son « hypothèse de l'atome primitif », visant à expliquer l'origine de l'Univers, constitue le fondement de sa théorie du Big Bang.
Biographie
Études
Georges Lemaître est l'aîné d'une famille de quatre enfants. Ses parents, Joseph Lemaître, un industriel tisserand prospère et sa mère Marguerite, née Lannoy, vouent une affection sans limite à leur fils Georges[1]. En 1904, il entre au collège des jésuites à Charleroi (Collège du Sacré-Cœur). Après une année préparatoire en mathématiques au Collège Saint-Michel d'Etterbeek, il est admis à l'école des mines de l'université catholique de Louvain en 1911. Il y rencontre Charles Manneback, un collègue qui devient son ami. Il suit les cours d'analyse de Charles de La Vallée Poussin et de mécanique d'Ernest Pasquier, qui l'initie aux problèmes de cosmologie.
Afin d'obtenir une bourse de voyage, il rédige en 1922 un mémoire sur La Physique d'Einstein, lui permettant de remporter la distinction. Il écrit son premier article scientifique en août 1923. Il est admis cette même année à l'université de Cambridge comme étudiant-chercheur.
Georges Lemaître revient comme enseignant à la section francophone de l'université catholique de Louvain. En 1927, Georges Lemaître rencontre Einstein au cours du cinquième congrès Solvay à l'Université libre de Bruxelles (ULB). Il fait ensuite de nombreux voyages aux États-Unis, rencontrant plusieurs fois Albert Einstein à Pasadena. Il est invité dans de nombreuses universités prestigieuses et gagne une réputation dans le grand public. En 1934, il reçoit la médaille Mendel de l'université Villanova[2], réservée aux scientifiques catholiques de haut niveau, et la même année, le prix Francqui.
Le , Georges Lemaître rejoint sa famille à Charleroi et projette un passage en Angleterre, mais échoue dans son exode devant la rapidité de l'avance allemande. Il retourne alors à Louvain et continue à y enseigner. Lors de la décision de l'Université libre de Bruxelles d'arrêter l'enseignement, car sa liberté ne pouvait plus être garantie face à l'occupant, il accueille les étudiants dans les locaux de l'université catholique de Louvain. Dans la nuit du 11 au , une partie de ces derniers est détruite par un bombardement aérien allié. Il rejoint alors sa mère à Bruxelles (son père est décédé depuis deux ans).
Parcours ecclésiastique
Georges Lemaître entre au séminaire (maison Saint-Rombaut de Malines) en 1920 pour être ordonné prêtre en 1923. Il entre dans la Fraternité sacerdotale des amis de Jésus à partir de 1922. Il réussira par la suite à concilier ses vocations scientifique et religieuse, ne sacrifiant jamais l'une à l'autre et prônant, en particulier, une interprétation symbolique et non pas littérale de la Genèse. Fidèle à la conception thomiste, il distingue la notion de « commencement » de celle de « création », la première étant une entité physique, la seconde un concept philosophique. À partir de 1926, il est l'aumônier d'une maison d'étudiants chinois.
Il est nommé chanoine honoraire en 1935.
En 1951, il fait connaître son désaccord avec un discours de Pie XII dans lequel le pape évoque la théorie du big bang, sans citer nommément Lemaître. Ce discours aux accents concordistes évoque un parallèle avec le Fiat lux du récit de la Création. La rupture dans les années 1930 de Lemaître avec le concordisme de jeunesse qu'il considère comme une erreur épistémologique l'a en effet conduit à adopter un discordisme méthodologique[3]. La critique de Lemaître, adressée par un intermédiaire, amènera le pape à amender ultérieurement sa formulation[4].
En 1960, il est nommé prélat domestique par Jean XXIII ainsi que président de l'Académie pontificale des sciences[5]. Il y accueille de nombreux scientifiques de renom comme Paul Dirac ou John Eccles et essaye de préserver une relative autonomie de cette institution, au moins vis-à-vis de la Curie.
En 1962, quand éclate la crise de Louvain, il fonde avec Gérard Garitte, l'ACAPSUL (association du personnel scientifique de l'université de Louvain), qui s'opposa avec virulence à l'expulsion des Wallons et des francophones de Louvain.
Fin de vie
En 1964, Georges Lemaître subit un infarctus du myocarde. Il développe une leucémie à partir de 1966 et meurt dans la nuit du 19 au de cette année.
Depuis le 1966, son corps repose dans le caveau familial au cimetière de Marcinelle.
Travaux
Expansion de l'Univers
Selon Jean-Pierre Luminet[6], Alexandre Friedmann de Leningrad publie le premier, dès 1922, une théorie de l'expansion de l'Univers dans Zeitschrift für Physik. Einstein envoie une première note pour déclarer faux les calculs de Friedmann, puis une seconde pour reconnaître l'exactitude de ces calculs qui fournissent une évaluation de l'âge de l'Univers. En 1927, indépendamment des travaux d'Alexander Friedmann, Georges Lemaître rédige un article dans les Annales de la Société scientifique de Bruxelles intitulé « Un univers homogène de masse constante et de rayon croissant » établissant que l'Univers est en expansion[7],[8]. Il utilise notamment l’effet Doppler, par lequel les fonctions d’ondes de la lumière des astres changent tandis qu'ils s’éloignent, donc leur couleur se décale vers le rouge. De plus, en se fondant sur les mesures de vitesses d'éloignement des galaxies de Vesto Slipher et de leurs distances établies par Edwin Hubble, Georges Lemaître est le premier à établir le rapport constant entre distance et vitesse d'éloignement. Il fournit une évaluation de cette constante, que l'on appelle communément la constante de Hubble. Cette estimation est fournie dans l'article de 1927, mais celui-ci est rédigé en français. Arthur Eddington le traduit en anglais en 1931[9], mais en omettant, à la demande même de Lemaître[10], les paragraphes relatifs à la constance du rapport distance sur vitesse[11],[12]. La communauté scientifique retiendra donc l'estimation plus précise publiée par Hubble en 1929[13].
À l'origine du Big Bang
Georges Lemaître émet ensuite une « hypothèse de l'atome primitif », début temporel de l'Univers. Cette théorie est appelée ironiquement Big Bang par Fred Hoyle en 1949, au cours d'une émission de radio, nom qui restera. Il soupçonne également le rayonnement cosmique de porter la trace des événements initiaux. Il travaille à partir de 1933 sur un modèle d'Univers non homogène nommé a posteriorimodèle de Lemaître-Tolman (Richard Tolman a travaillé avec lui à Pasadena), expliquant les condensations et la formation des galaxies. Il étudie à nouveau le rayonnement cosmique, notamment avec Carl Størmer, ce qui l'oblige à recourir aux machines à calcul qu'il va très vite maîtriser.
Après la Libération, il reprend son travail et s'intéresse à la formation des nébuleuses. Pour cela, il devient l'un des pionniers belges des machines à calculer et s'intéresse à leur programmation en langage machine, puis en assembleur avant d'étudier d'autres langages comme l'Algol.
En 1965, Odon Godart annonça à son ancien collègue et mentor alors très malade, la découverte du fond diffus cosmologique par Arno Penzias et Robert Wilson. Cet « écho disparu de la formation des mondes », comme Lemaître l'avait poétiquement appelé, confirmait le scénario cosmologique dont Lemaître avait été l'un des premiers artisans.
Le souvenir de sa découverte est gravé sur le monument qui orne le carrefour dit « Îlot des sciences », à l'intersection des boulevards Devreux et Audent et des rues Willy-Ernst et du Pont Neuf, à Charleroi.
Une œuvre de Jean François Diord lui rendant hommage est installée sur un plan d'eau devant l'ancien musée du verre, aujourd'hui extension du palais de Justice, dans le parc Jacques Depelsenaire.
Un bâtiment lui est dédié à la faculté des sciences de Louvain-la-Neuve, abritant des auditoriums et des classes de cours, dont l'auditorium Georges-Lemaître (Sciences 10).
Le , Google a célébré le 124e anniversaire de naissance de l'astronome belge Georges Lemaître avec un doodle[18],[19].
Le est inaugurée la Big Bang route, un parcours cyclable reliant Leuven et Louvain-la-Neuve, sur lequel sont disposés des bornes évoquant les travaux de Lemaître[20],[21].
En décembre 2022, la VRT annonce la découverte d'une interview de 20 minutes avec Georges Lemaître à la BRT en 1964. "Longtemps cherchée, enfin retrouvée : La VRT retrouve l'interview de 1964 du Belge qui a inventé le Big Bang". "Un véritable bijou" selon le cosmologiste Thomas Hertog[22]. L'intégralité de cette interview réalisée en français est disponible sur le site de la VRT.
« Un univers homogène de masse constante et de rayon croissant rendant compte de la vitesse radiale des nébuleuses extra-galactiques », in Annales de la société scientifique de Bruxelles, volume 47A, p. 49-59, 1927.
« L'univers en expansion », in Annales de la société scientifique de Bruxelles, volume 53A, p. 51-83, 1933.
L’Expansion de l’Univers, conférence données lors de la séance du de la SAF, L’Astronomie, , p. 153-168
L’Hypothèse de l’atome primitif, essai de cosmogonie, préface de Ferdinand Gonseth, coll. « Les problèmes de la philosophie des sciences », Neuchatel, éditions du Griffon, et Paris, Dunod, 1946
« La Structure et l'évolution de l'Univers », in Onzième Conseil de physique Solvay, 1958.
(en) Learning the Physics of Einstein with Georges Lemaître: Before the Big Bang Theory, editors: Jan Govaerts and Jean-François Stoffel; translated by Christine Leroy and Stephen Lyle, Cham: Springer International Publishing, 2019, xiv, 257 p.
Notes et références
↑Dominique Lambert, Un atome d'univers : la vie et l'œuvre de Georges Lemaître, Lessius, , p. 22.
↑G. Lemaître, « Un univers homogène de masse constante et de rayon croissant rendant compte de la vitesse radiale des nébuleuses extra-galactiques », Annales de la Société scientifique de Bruxelles, vol. 47, , p. 49-59 (Bibcode1927ASSB...47...49L, lire en ligne [PDF]).
↑« Vos calculs sont corrects, mais votre physique est abominable », lui écrit Einstein, qui, à l'époque, n'acceptait pas l'idée. (en) A. Deprit « Monsignor Georges Lemaître » () — « (ibid.) », dans The Big Bang and Georges Lemaître, Reidel, p. 370.
↑Jean-Pierre Luminet, L'invention du Big Bang, Le Seuil, 2004, p. 108. Dans un article paru en septembre 2004, Qui a inventé le Big Bang ? dans la revue Ciel et Espace et repris dans son livre Illuminations, Odile Jacob, 2011, le même auteur écrit qu'Eddington fait traduire cet article.
↑E. P. Hubble, Proc. Natl. Acad. Sci. USA vol. 15 (1929), p. 168-173
↑Georges Lemaître est né dans une maison maintenant disparue, au numéro 10, rue du Pont Neuf, à une centaine de mètres de la maison du Boulevard Devreux
↑(nl) Wim De Maeseneer, « Lang naar gezocht, eindelijk gevonden: VRT vindt interview uit 1964 terug met de Belg die de oerknal bedacht » [« Longtemps cherchée, enfin retrouvée : La VRT retrouve l'interview de 1964 du Belge qui a inventé le Big Bang »], sur vrtnws.be, (consulté le ) : « La VRT a retrouvé dans ses archives une interview perdue de Georges Lemaître. Il avait été interviewé à ce sujet en 1964 pour la BRT de l'époque, mais jusqu'à récemment, on pensait que seul un court extrait avait été conservé. Aujourd'hui, l'intégralité de l'entretien de 20 minutes a été retrouvée. "Un véritable bijou", selon le cosmologiste Thomas Hertog. »
Dominique Lambert, L'Itinéraire spirituel de Georges Lemaître, Lessius, 2008.
Dominique Lambert, (dir.) Lemaître, le père du big bang, Les génies de la science, Pour la science, n°30, février-.
Dominique Lambert, Temps et Création. Quelques remarques à partir de la cosmologie de Mgr Georges Lemaître, Théophilyon 6 (2001), 375-393.
Dominique Lambert, « Monseigneur Georges Lemaître et le débat entre la cosmologie et la foi », dans Revue théologique de Louvain, 28 (1997), 28-53, 227-243.
(en) H. Nussbaumer et L. Bieri, Discovering the expanding universe, Cambridge University Press 2009. [1]
Jean-François Robredo, La métamorphose du ciel. De Giordano Bruno à l'abbé Lemaître, PUF, 2011.
Jean-François Robredo, Du cosmos au big bang. La révolution philosophique, PUF, 2006.
Jean-François Stoffel (éd.), Mgr Georges Lemaître, savant et croyant. Actes du colloque tenu à Louvain-la-Neuve le [suivi de] La physique d'Einstein, texte inédit de Georges Lemaître, Turnhout, Brepols, 1996, 371 p.
Dominique Lambert et Valérie Paul-Boncour, Prier 15 jours avec Georges Lemaître, Nouvelle Cité, 2024.